JO

Passionné par la mécanique depuis qu’il est en âge, non pas de conduire, mais de s’imaginer au volant d’une voiture ou à califourchon sur une moto, Joêl Carrière a passé de nombreuses années penché sur un moteur, ou allongé sous une carrosserie (au grand bonheur de ses proches, pour qui une bougie s’allume sur un gâteau, et un piston est une aide à l’embauche, qu’il a dépannés maintes et maintes fois à toute heure du jour ou de la nuit…), et c’est en restaurant une moto ancienne des années 70 qu’il est devenu sculpteur.

En fait il lui fallut alors deux engins pour redonner vie à ladite moto, et une fois qu’il l’eut ressuscitée, il se retrouva avec un tas de pièces de moteur en rab. Et plutôt que d’aller dégotter un troisième engin et se lancer dans une énième restauration, il eut alors l’idée « de revaloriser ces pièces restantes en leur donnant une deuxième vie sous une forme différente ». Forme animale en l’occurrence, car c’est un escargot réalisé avec des pignons de boite de vitesse et des poignées de frein qui vit alors le jour, premier d’une longue liste de « bestioles » nées sous ses doigts.

Car s’il continue à réparer, ressusciter, des véhicules au bout du rouleau, car comme il le dit lui-même « ne pas gaspiller est prioritaire », lorsque le mécano ne peut plus rien faire, c’est au tour du sculpteur de pallier au gaspillage. L’artiste se doit donc « de recycler l’épave, voire de l’upcycler en transformant son futur de déchet en quelque chose d’unique » une manière selon lui « qu’elle commence une nouvelle histoire en conservant les traces de son passé, avec de nouvelles fonctions que son inventeur/constructeur n’aurait pas soupçonnées lors de sa création ».

Et c’est ce qu’il s’acharne à faire depuis 10 ans, sans dessin préparatoire car c’est la forme et la taille des pièces qui l’inspirent. Sa palette ce sont des carburateurs, des pistons, des bougies, des alternateurs, des poignées de frein, des pots d’échappement …, qu’il sélectionne, nettoie, décape, avant de procéder à un premier montage à l’aide d’aimant, de fil de fer et de pinces étau, mais c’est en sculpteur authentique qu’il exécute la phase finale de ses œuvres, à savoir à la soudure à l’arc.

Et le résultat ce sont de majestueux escargots, de chaleureux moutons ou encore de fières biKettes, voire des pièces plus abstraites, mais tout aussi puissantes, et qui conservent ce que Joël Carrière appelle « le capital sympathie de l’objet initial » qu’il s’évertue avec brio « à ne pas gâcher » dans ses œuvres.

 

Marie-Isabelle Taddeï,

Curator et critique d’art